Stratégies éditoriales et modèles d’affaires :
quelques enjeux pour le pluralisme et la qualité de l’information en ligne

Dans un contexte de plateformisation des formats d’information, les médias d’information sont conduits à redéfinir leurs modèles d’affaires avec, à la clé, des évolutions éditoriales.

L’ensemble des travaux théoriques sur la définition du concept de modèle d’affaires converge sur l’importance de trois éléments structuraux : la création, la captation et le réseau de création de la valeur. La « création » et la « captation » correspondent aux fonctions essentielles de toute organisation et sont le résultat des ressources et du positionnement d’un acteur. Le « réseau de création », incluant les fournisseurs, les partenaires, les consommateurs et les canaux de distribution, est l’un des facteurs déterminant ces choix stratégiques, car il permet d’élargir le champ de compétences d’une organisation.

Le choix d’un modèle d’affaires par les médias d’information les positionne dans des ensembles qui correspondent à un certain type d’offre. Plusieurs ensembles sont identifiables : les médias historiques qui ont développé une présence en ligne forte ; les atypiques, des pure players ayant souvent opté pour un modèle d’affaires peu répandu, ainsi du paywall de Mediapart initié dès la création de ce média ; des pure players où le financement publicitaire domine ; enfin des médias alternatifs qui font appel aux donations, à la participation et endossent souvent une ligne éditoriale politiquement marquée.

Ces différents éléments de modèles d’affaires, qui reposent sur les choix internes de l’entreprise, se traduisent également dans des choix éditoriaux. Ces derniers prennent également en compte des conditions de marché, donc des facteurs externes. Ainsi, l’audience ciblée pourra être grand public ou de niche. C’est ce qui distingue par exemple le portail du Groupe Figaro d’une part, qui vise une audience la plus large possible afin de couvrir une cible publicitaire capable de concurrencer les offres des plateformes comme Google ou Facebook, et d’autre part un média d’information en ligne comme reporterre.net dont la ligne éditoriale est toute entière centrée sur l’écologie militante. A cet égard, ce dernier propose à ses lecteurs, dès sa home page, un dispositif de financement participatif lié à l’engagement qu’il suppose partagé avec sa cible.

Le choix éditorial pourra également être dicté par l’environnement médiatique où la multiplication des sources d’information, professionnelles ou non, fait émerger des concurrences nouvelles. A titre d’exemple, la presse quotidienne régionale limite son traitement de l’actualité nationale et internationale parce que de plus en plus d’offres en ligne la proposent souvent en accès libre, notamment quand il s’agit d’alertes reprenant, parfois en les modifiant, les dépêches AFP. Dans un autre domaine, les contenus venus d’horizons étrangers aux médias reconnus vont l’emporter en termes de circulation sur ceux des médias historiques comme ce fut le cas dans les dernières semaines de la campagne présidentielle américaine de 2016 où les fake news ont fini par s’imposer.

Le choix éditorial pourra aussi être dicté par des impératifs technologiques et les pratiques de consommation en ligne qui y sont souvent associées. Twitter privilégiera les alertes et des textes courts quand Discovery conduira les médias à produire des contenus enrichis devant respecter la charte exigeante de la plateforme. Sur Facebook, les médias seront incités à produire de l’information sous forme de vidéo qui puisse être regardée sans le son, d’où le recours à une forme originale de typographie pour les enrichir. Ces nouveaux formats essaiment par ailleurs puisqu’ils ont inspiré la chaîne d’information en continu francetvinfo. Facebook peut même rémunérer certains médias pour qu’ils adoptent les formats qu’il privilégie, ainsi des Facebook Live ou d’Instant Articles.

La nature éditoriale de ces offres est toujours liée aux moyens financiers et aux ressources disponibles. Ainsi, certains médias en ligne ont une structure d’offre riche et diversifiée quand d’autres vont devoir assumer des choix qui limitent l’étendue de leur couverture éditoriale. Cette dernière pourra toutefois être enrichie à l’occasion de collaborations entre médias qui vont échanger entre eux une partie des articles ou contenus qu’ils ont respectivement produits. Ces contraintes se retrouvent dans le discours des acteurs en charge de la stratégie des médias d’information.

Afin d’identifier la manière dont les responsables des médias d’information s’approprient ces contraintes et procèdent à des arbitrages dans leurs stratégies, une première enquête a été réalisée sur le management des groupes de presse quotidienne régionale. Les responsables interviewés vont par exemple tous insisté sur la qualité de l’information journalistique qu’ils produisent parce qu’elle s’appuie sur des savoir-faire professionnels et une surveillance entre pairs qui engage la marque de leur média, laquelle est perçue comme un véritable label pour la qualité de l’information. De même, tous s’accordent à prendre en compte, dans la définition de la bonne information, la nécessité d’adapter le contenu aux différents formats dans lequel le message va être diffusé (réseaux sociaux, site web, titre papier) ainsi que la temporalité spécifique imposée par ces formats. A titre d’exemple, les notifications vont reposer sur des formats courts témoignant d’une réactivité forte de la rédaction quand le papier favorisera les formats longs et l’approfondissement de l’information dans une logique qui articule web first d’une part, média hors ligne de l’autre.

Ce faisceau de contraintes et les différentes stratégies d’entreprises observées témoignent d’une véritable multiplication des offres d’information en ligne. Cette pluralité des offres n’est pas toutefois synonyme en soi d’une véritable diversité et qualité de l’information. Par exemple, les pratiques massives du «copier-coller » de dépêches des agences de presse sont loin de favoriser l’originalité des contenus en ligne. De la même manière, le succès de certains formats et leur viralité peut, du fait du phénomène des filter bubbles, rendre invisibles certaines offres alternatives, voire les condamner économiquement en dégradant massivement leur visibilité en ligne. Cette viralité et la profusion des offres rendent par ailleurs d’autant plus difficilement identifiable pour l’internaute non averti l’immixtion des fake news et autres propos mensongers dans les flux informationnels.

Inna Lyubareva, IMT Atlantique, LEGO

Alexandre Joux, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, IMSIC

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